Par Daniel Delisle . -Les contes de Noël, c’est souvent un baume pour l’âme. Il y a là plein d’histoires avec d’heureux dénouements, des gens séparés qui sont réunis, des gens malades qui sont guéris, des pauvres qui sont soulagés de leurs misères. J’ajouterais des faibles qui triomphent des forts !
Jeune, j’habitais le quartier Ste-Marguerite de Trois-Rivières et l’un de mes passe-temps préféré consistait à enfourcher mon vélo et à grimper sur le coteau pour me promener sur le site des écuries de l’hippodrome. Il y avait là plusieurs centaines de chevaux et les chevaux de tout temps, m’ont toujours fasciné. On est autour du milieu des années 50. Sur le site ( aujourd’hui, ce sont les stationnements de l’hippodrome et du casino ), il y avait plusieurs écuries dites d’été : les chevaux y sont accessibles, peuvent se sortir la tête, on peut les voir, les caresser; parfois quand je suis assez riche, j’achète une boîte de cubes de sucre et je les leur distribue, quand les gens sur place le permettent.
Des noms viennent à mon esprit pour ces écuries dites d’été ( les autres écuries sont fermées; les chevaux peuvent y hiverner; souvent même leurs entraîneurs y ont des quartiers au 2e étage. ) Ces noms sonnent comme Lorenzo Fugère, Mauril René, Gabriel Trahan, Rhéo Rivard. Dans ce derniers cas, j’étais intrigué par une plaque qui identifiait le cheval du nom de Flootide; on y disait qu’il avait un record de 2.02.4, plutôt inimaginable à l’époque, alors que les meilleurs ambleurs se disputaient la victoire en 2.07 , à H3R !
Miss Oakville
Dans les écuries d’été, il y avait un cheval qui m’attirait; c’était une jument trotteuse du nom de Miss Oakville. Elle était douce et sa tête me plaisait. Elle avait donc plus que sa part de sucre. Je devais apprendre qu’elle appartenait à un humble monsieur du nom de Omer Lamy. C’était son seul cheval et ma foi, ce n’était pas une terreur. Elle devait bien avoir autour de cinq, six ans et était toujours maiden.
Si ces détails-là m’importaient, c’est que j’étais intéressé par les chevaux certes, par les courses de chevaux en plus. Un intérêt qui ne me venait pas de ma famille immédiate, mais de ma famille élargie ( oncle, grand-père ). En plus, souvent, j’allais chercher des programmes de courses pour des voisins qui eux aimaient les courses. Le programme valait 25 sous et la randonnée à vélo me valait dix sous, une richesse, quoi. Donc, les courses m’intéressaient; je lisais le programme et mes parents me permettaient d’aller voir les deux ou trois premières courses, disons tant qu’il faisait jour. À l’époque, il y avait près de la piste, une estrade de bois sur laquelle s’entassaient les gens de chevaux. Elle était située dans le dernier tournant. Je m’y faufilais avec un grand plaisir.
Et c’est ainsi que j’appris que Miss Oakville, ma préférée, n’était pas une terreur, loin de là. Plusieurs même s’en moquaient et ça m’attristait beaucoup. Cette classe de maidens se baladait souvent entre 2.15 et 2.17, c’est vous dire !
Secrétaire de courses
De temps à autre, j’avais la possibilité d’aller aux courses pour vrai, à l’estrade. Avant de repartir, je ramassais des billets de paris non-gagnants, jetés par terre par les clients. Je gardais les plus propres. C’étaient des billets en papier renforci; le guichetier poinçonnait littéralement chaque billet avec une machine spéciale peu sophistiquée. De retour, chez moi, j’inscrivais à l’endos des billets que j’avais ramassés, des noms de chevaux qui se produisaient régulièrement à l’hippodrome. J’assemblais ensuite les billets en tenant compte de la valeur des différents chevaux et je bâtissais littéralement mes courses à moi. Et ma chambre se transformait en hippodrome. J’alignais huit chevaux ( les billets toujours ) et je les faisais progresser en décrivant la course, comme l’annonceur du temps, peut-être Armand Kid Martel ou Adélard Del Dugré.
Et vous devinez quoi ? Dans mes courses, Miss Oakville avait brisé son maiden et était une grande gagnante. C’était réconfortant et comme enfant, j’aimais bien les victoires des petits sur les grands, des faibles sur les forts, exactement comme à Noël !
*** Petite recherche sur SC et j’ai découvert que Miss Oakville , une fille de Laurel Guy, est effectivement née en 1951 et qu’elle a finalement gagné une course en 2.17.2 dans la vraie vie. On n’indique pas quel âge elle pouvait bien avoir à ce moment-là, mais c’était sûrement autour de 5 ou 6 ans, peut-être plus.
Joyeux Noël !